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Médias : jusqu’à la nausée

21 mins de lecture

Le 17 mai dernier dans l’émission de Christine Kelly « face à l’info » sur Cnews (ne voulant pas vous imposer de regarder l’ensemble de cette triste émission je vous informe que la partie du lien qui fait l’objet de mon texte est comprise entre la 6eme et la 20 eme minute) , Guillaume Bigot allait, à partir d’un rapport de la cour des comptes monter une théorie du complot qui ne pourra que conforter ceux qui pensent que la chaîne d’infos de Bolloré est devenue une officine de l’extrême-droite. La chaine allait reprendre la fake news sur la fraude massive aux cartes vitales en s’appuyant sur un rapport de la cour des comptes pour l’année 2022…ou ce sujet n’est même pas évoqué…
Quand on reprends la synthèse faite par la Cour des Comptes avec les points essentiels du rapport, le mot « étranger » n’apparaît même pas, le terme « carte vitale » non plus.
Ca n’empêchera pas l’ancien conseiller de Charles Pasqua, Guillaume Bigot, de ressortir la fake news sur les cartes vitales frauduleuses, qu’il avait déjà défendue auparavant et de nous démontrer la pertinence du fameux théorème de Michel Audiard dont je concède volontiers abuser : Ce 17 mai 2023, Guillaume Bigot a tout osé, c’est même à ça qu’on le reconnait (même sans cravate).

Un rapport de la cour des comptes classique

Déjà la présentation de la chronique par Christine Kelly, versait dans le sensationnel ,
« Trop d’erreurs sur les prestations sociales, la prime d’activité ou le versement du RSA pour 5,8 milliards d’euros en 2022 et refus de certification de la branche famille et certification avec réserve de la branche assurance maladie » puis ensuite dans le fantasme quand elle affirme que le rapport de la cour des comptes suspecte une fraude sociale massive, en effet à aucun moment une telle chose n’est évoquée dans ce rapport.

Or que dit ce rapport de nouveau ?

Par rapport à la fraude, en ce qui concerne l’assurance maladie, la cour des comptes souligne un progrès avec une estimation de la fraude dont le spectre a été étendu (médecins généralistes, masseurs kinésithérapeutes, pharmaciens, transporteurs), le total estimé de la fraude sur ce seul périmètre étant compris entre 900 millions et 1,3 milliard.
Ce rapport souligne plutôt une amélioration des contrôles tout en les considérant encore insuffisants.
Il est à noter que la non validation des comptes de la branche famille est largement impactée par le fait que cette branche fait une estimation biennale de la fraude et que cette année elle n’avait donc pas donné à la cour des comptes d’éléments sur ce thème.
Dans cette même synthèse, il sera fait mention d’une incertitude de l’estimation des produits à recevoir de remises dues par les entreprises pharmaceutiques.

Quel est la principale critique de la Cour des Comptes ?

La présentation des produits de prélèvements sociaux des travailleurs indépendants entre les exercices 2021 et 2022 affectent les comptes des produits de recouvrement et les soldes de l’activité 2021 des branches maladie, famille et vieillesse et dans une moindre mesure de la branche autonomie du régime général conduisant la cour à constater une anomalie significative affectant chacun de ces jeux de compte. D’autre part, il y a un niveau d’erreur qui reste important et qui est même en progression sur le calcul des allocations notamment sur les branches maladie et famille.

Un rapport qui ne justifie pas un tel affichage de xénophobie

Pour répondre à la question de Christine Kelly, pourquoi personne ne parle de ce rapport, il est facile de répondre, parce qu’il n’a rien d’explosif, que les réserves sont même habituelles. Sur le recouvrement qui est la critique la plus importante apportée aux comptes de la Sécurité Sociale, il y a même un progrès car les comptes de l’activité de recouvrement ont été validés avec réserve alors qu’ils n’avaient pas été validés en 2021.
Ce rapport de la cour des comptes est donc un non-événement et n’apportait aucun élément nouveau sur la question des cartes vitales en trop ni sur le coût de la fraude des étrangers.
Pourtant Guillaume Bigot à partir d’un chiffre secondaire trouvé au fond du rapport et d’ailleurs pas repris dans la synthèse des points essentiels va raconter une histoire abracadabrante, une théorie du complot ou les étrangers frauderaient massivement avec la complicité d’une gauche qui contrôlerait totalement l’administration. Certes il ne le dit pas carrément il se contente de le sous-entendre insidieusement.
Je ferais remarquer à ce cher Guillaume que l’administration est généralement sous le contrôle de l’état et donc de ceux qui sont au pouvoir, et, à ma connaissance, la gauche n’est pas au pouvoir.
Il va donc parler des 44000 allocataires nés à l’étranger inscrits avec un numéro provisoire d’attente n’ayant pu être certifié. La cour des comptes ne reprochera d’ailleurs pas le fait que des allocations aient été versées mais le fait que le recouvrement n’ait pas été effectué en cas d’échec de certification.
Mais sur le plateau de Cnews ça va être un déchaînement de bêtise et de mauvaise foi.
1er signe de mauvaise foi : Guillaume Bigot va utiliser ce chiffre pour justifier de la non certification de la branche famille de la Sécurité sociale alors que ce point n’est même pas retenu dans la synthèse de la cour des comptes.
2eme signe de mauvaise foi : On laisserait faire parce que cela toucherait des étrangers pauvres par pure idéologie. Déjà, il n’y a pas forcément fraude, il peut y avoir une inaptitude de personnes numériquement pas formées et ne parlant pas notre langue à monter le dossier complet qui leur permettrait d’être validés. De plus les 44000 allocataires nés à l’étranger peuvent aussi être français. N’oublions pas qu’il y a près de 2,5 millons de français à l’étranger et donc de nombreux enfants français nés à l’étranger. Donc ni pauvres, ni étrangers.

Pourquoi les choses évoluent elles si lentement ?

Comme toujours tout est une question de moyens. Lorsqu’une charge augmente, lorsque la complexité de cette charge augmente , il faut se donner déjà des moyens humains. Car jusqu’à maintenant on a amené que des solutions techniques avec une dématérialisation de plus en plus importante. La dématérialisation offre 2 inconvénients : elle facilite la fraude et surtout elle laisse à l’écart tous ceux qui ne maitrisent pas ces techniques. Le service public doit rester un service au public et pour tous les publics.
La cour des comptes relève une légère progression des contrôles, mais il ne sera possible de faire mieux que lorsqu’on s’en donnera les moyens humains. Et le contrôle n’aura du sens que si on est capable en même temps d’apporter une information de qualité à tous les publics.
Mais pourquoi cela ne va t’il pas plus vite ? En fait, c’est par pure idéologie, celle qui est mise en place depuis des décennies et qui tends à réduire les effectifs dans les services publics malgré une augmentation importante de la charge de travail. On ne peut pas demander à une administration en sous-effectif d’être capable de mettre en place une mise a jour régulière des fichiers et la mise en place d’un recouvrement efficace. Idem par rapport aux erreurs, si on en veut moins il faut renforcer les équipes. Le silence sur ces questions tient donc surtout à la volonté de ne pas ouvrir le débat sur un renforcement des effectifs du service public.
Marc Menant parlera de ces employés qui ouvrent des droits à des étrangers non certifiés en les déclarant irresponsables et donc coupables et qu’il faudrait donc virer sans préavis et sans indemnités ! Rien que ça… Il oublie juste que cela est actuellement parfaitement légal pour permettre aux gens de vivre pendant les délais administratifs pour obtenir des justificatifs confirmant le déclaratif, le reproche de la cour des comptes portant surtout sur le recouvrement insuffisant des indus. Il se justifiera en se prétendant pourtant de gauche ! Christine Kelly le recadrera en lui disant qu’on n’a pas a avoir honte d’être de droite… Un ange passe…. Parce que que si le gauchiste de service veut virer les agents comme des malpropres, j’ai très peur d’avoir l’opinion de la droite sur ce sujet !

Faire renaître une fake news de l’extrême droite

L’extreme-droite était bien sur représentée dans cette émission ou Eric Zemmour était consultant il y a peu. Mais Charlotte D’Ornelas, figure médiatique de l’extrême-droite n’aura même pas besoin d’en rajouter, ses collègues faisant déjà très bien le job !
Guillaume Bigot sera là pour faire le travail à sa place, en brodant sur le chiffre de 2,5 millions de personnes qui resteraient éligibles à la CMU sans forcément remplir les conditions d’éligibilité.
Ce point non plus n’apparaîtra pas dans la synthèse du rapport de la cour des comptes car il est extrêmement compliqué d’actualiser en temps réel cette éligibilité qui peut changer au gré d’une reprise de travail ou dans l’autre sens suite à une inactivité. Il n ‘y a pas forcément une fraude caractérisée derrière chaque cas, surtout auprès de publics ne maitrisant ni la langue, ni l’outil informatique.
Christine Kelly va se servir de ce chiffre de 2,5 millions pour faire une transition sur les 2,5 millions de cartes vitales dénoncées par un rapport parlementaire d’un élu LR qui avait servi à la polémique il ya quelques mois.
A partir de la , Guillaume Bigot va abandonner le rapport de la cour des comptes pour refaire le match avec le même rapport parlementaire et en gros expliquer qu’il n’y avait pas eu de fake news au sujet de ces cartes vitales et qu’il y avait une sorte de complot pour faire taire tous ceux qui dénonçaient la fraude des étrangers, une chape de plomb ourdie par la gauche, visiblement une obsession pour cette joyeuse troupe de consultants.
Ils emploieront systématiquement le terme de cartes frauduleuses alors que dans l’essentiel des cas, nous étions surtout en présence de doublons.
Ils vont faire des gorges chaudes des 7 776 000 cartes vitales en trop en 2013, c’est à dire juste quelques années après la création de la carte vitale 2, la version actuelle.
Les rapports parlent de cartes vitales en trop, sur le plateau ils continueront à parler systématiquement de cartes vitales frauduleuses forcément utilisées par des étrangers.
Guillaume Bigot en rajoutera une couche sur le coup exorbitant de cette « fraude » qu’il estimera entre 20 et 40 milliards alors que le chiffre de 14 milliards plus souvent avancé a déjà été largement contredit. Le dernier rapport de la commission des affaires sociales du Sénat suite a une étude sur un échantillon représentatif estimera la fraude aux faux numéros de sécurité sociale entre 117 et 138,6 millions dés 2019, ce qui semble confirmer le fait que les cartes vitales en trop sont plus souvent des doublons que des cartes frauduleuses. Donc Guillaume Bigot aura essayé de ressusciter une polémique sur les cartes vitales, vieille lune de la droite et de l’extrême-droite, à partir du dernier rapport de la cour des comptes qui n’a jamais pourtant évoqué le sujet. Il fallait oser…

La xénophobie comme un objet de division des actifs

Donc toute une émission pour condamner le coût exorbitant de la fraude des étrangers, pour se rendre compte que ce sujet est à peine abordé dans le rapport de la cour des comptes qui épingle plutôt les travailleurs non salariés sur des sommes importantes, les professionnels de la santé et les transporteurs, les entreprises pharmaceutiques, seuls publics signalés dans la synthèse des points essentiels du rapport de la cour des comptes.
A coté de ça, on sait maintenant que les cartes vitales en trop sont de moins en moins nombreuses, que le coût des fraudes aux faux numéros de sécurité sociale est faible. Alors pourquoi cet acharnement à vouloir faire croire à une fraude massive des étrangers ?
Je pense que nous sortons d’une période assez exceptionnelle ou pratiquement toute la population active, classes moyennes, pauvres, actifs étrangers se sont regroupés pour défendre leurs droits ensemble contre ceux qui captent l’essentiel de la richesse, avec une fraude fiscale massive. Il y a une volonté de détourner l’attention des gens actuellement plutôt tournée sur la fraude fiscale, c’est à dire la fraude des riches en surévaluant la fraude sociale, qu’on présente à tort comme la fraude des pauvres alors qu’en plus, les 2/3 de la fraude sociale concernent les entreprises. Il est donc urgent pour certains de diviser la population et leur trouver de nouveaux ennemis.
Diviser les français pauvres et les étrangers pauvres est une vieille méthode de l’extrême droite, et la Macronie le voit comme une manière d’allumer un contre-feu alors que les braises de la révolte contre la réforme des retraites sont encore chaudes.
Ce genre d’émissions nauséabondes ne sont la que pour jeter le fiel de la discorde.
Ne tombons pas dans ce piège grossier.
Je ne résiste pas à vous donner une autre thématique de cette même émission le même jour :
« Nicolas Sarkozy : une justice indépendante ou une justice délirante ? » Bien entendu on ne sera pas surpris de la violence des attaques contre des juges qui auront eu le courage de faire leur travail, la solidarité n’est un gros mot pour eux que lorsqu’elle s’applique à nous. Entre eux, la solidarité ne se dément jamais.

Daniel Large

Confronté, par mon métier dans le service public de l'emploi, aux conséquences de la crise économique et sociale, j'ai décidé de m'investir et militer pour défendre les victimes des politiques libérales.
Electeur de gauche depuis toujours, militant d'une union des gauches n'ayant pas renoncé à une véritable politique sociale. Des concessions oui, mais pas de compromissions.

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