Le mirage du plein emploi

18 mins de lecture

Rabâcher un mensonge n’en fait pas une vérité

Quel est le point commun entre le Père Noel, la théorie du ruissellement et le plein emploi ?

Ce sont tous les 3 des légendes. Ou plus exactement, les deux premiers sont des légendes, le troisième, ce gouvernement en a fait un mirage !

Le père Noel et le ruissellement ça n’a jamais existé, le plein emploi ça a déjà existé et ça doit rester un objectif pour nous.

Le Père Noel on cesse en général d’y croire assez jeune, la théorie du ruissellement certains continuent à y croire même à l’âge adulte, mais contrairement au père Noel, cette théorie fait rarement des cadeaux.

Pour être tout à fait exact ce ruissellement est en fait assez localisé, plutôt sur Neuilly ou Saint Tropez, beaucoup moins en Seine Saint Denis ou dans le Nord des Landes.

Mais je vais m’étendre aujourd’hui sur une illusion, celle que la Macronie essaie de nous vendre depuis quelques mois, et par ruissellement les médias, le mirage du plein emploi.

Nous serions donc presque arrivés au plein emploi, la croissance serait freinée par l’impossibilité des entreprises à embaucher, bref tout serait donc de la faute de ces fainéants de demandeurs d’emploi.

En effet, dans une société de plein emploi, tout le monde devrait travailler ! La question des conditions de travail est occultée, l’emploi n’est plus évoqué que sous l’angle des fameuses tensions de recrutement et donc des besoins des entreprises. Les entreprises n’ont donc plus aucune responsabilité dans leurs difficultés de recrutement, les conditions de travail, les salaires, la souffrance au travail, toutes ces thématiques sont donc devenues hors sujet.

Les médias au soutien d’un mensonge

Intéressons donc nous factuellement à ce qui pourrait laisser penser que nous tendons vers le plein emploi.

Dans les médias nous entendons régulièrement des chiffres comme « un million d’offres non pourvues » et il faut prendre ce chiffre avec beaucoup de prudence. En effet une même offre peut être diffusée par plusieurs opérateurs et ces chiffres ne correspondent pas forcément à la réalité. De plus les offres non pourvues ne peuvent se mesurer que quand elles sont clôturées, avant, ce sont des offres en cours. Et donc quand les médias titrent sur les offres en cours en faisant semblant de penser qu’elles sont non pourvues, c’est un raisonnement intellectuellement malhonnête. Parce qu’avec ce raisonnement, une offre diffusée la veille devient une offre non pourvue ! La réalité, c’est qu’il y a toujours un stock d’offres en cours important, qui d’ailleurs ne concerne qu’une petite minorité d’offres pérennes. Dans certaines agences du service public de l’emploi ou l’emploi saisonnier est important, les offres d’emploi pour des CDD inférieurs à 6 mois représentent….85 % des offres ! Et parmi les offres restantes, toutes ne sont pas des offres à plein temps !

La réalité du chômage en France

Mais laissons les médias de côté et parlons chiffres :

A la fin du 4eme trimestre 2022, le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A était en France de 3 049 700. Ce chiffre ne tient pas compte des catégories B et C c’est-à-dire de ceux qui ont travaillé –de 78h (B) et + de 78h(C). Si on tient compte de ces catégories, on arrive au chiffre de 5 394300 précaires et on appelle ce chiffre : nombre de demandeurs d’emploi inscrits « toutes catégories confondues »….. Sauf qu’il existe 2 autres catégories celles des sans emploi non tenus de rechercher un emploi :

La catégorie D qui comprends les chômeurs inscrits en stage, en formation ou en maladie ( 343 300) La catégorie E qui comprends essentiellement les dispensés de recherche d’emploi et surtout ceux qui sont en contrats aidés ( 363 600). Ces mêmes contrats aidés qui, après avoir été proches de l’extinction après 2017 avec l’arrivée de Macron, avaient été relancés massivement depuis 2021, en vue des présidentielles, le robinet ayant été refermé 48h après le second tour des législatives et ne coulant plus qu’au compte-goutte depuis cette date.

On arrive donc à un chiffre total d’un peu moins de 6 100 000 précaires !

Si on ramène ça à la population active on est donc à des années lumières du plein-emploi, et ceci même si on s’en tient à la vision très minimaliste du chômage en la limitant aux 3 049 700 inscrits en catégorie A.

Et donc par quel tour de magie nous parle-t-on d’un taux de chômage à 7,2% en France ?

Il faut savoir que le calcul du taux de chômage selon l’INSEE qui s’appuie sur des questionnaires mis en place par le Bureau International du Travail (BIT) basés sur un processus identique dans chaque pays est le meilleur et même le seul outil pour comparer le chômage dans les différents pays. Cela permets d’uniformiser la définition du chômage, différente selon les pays . Par exemple, la définition du chômeur au royaume uni est limitée au demandeur d’emploi indemnisé ! Sachant qu’on indemnise seulement pendant 6 mois, on voit bien que le chiffre du chômage la bas n’a plus aucun sens ! Et on comprend mieux les arrière-pensées de certains en France que le modèle anglais fait rêver ! Ainsi au Royaume Uni, la courbe du chômage s’est totalement décorrélée de la courbe de la pauvreté. Pas étonnant lorsque l’on sait que, la bas, lorsqu’un chômeur n’a plus de revenu, il ne compte plus dans le chiffre du chômage ! Donc trouver un thermomètre commun pour comparer le chômage dans les différents pays est techniquement utile. Mais du coup il faut être d’une grande prudence dans l’interprétation du taux de chômage selon l’INSEE, utile pour comparer les pays, très imparfait pour mesurer la réalité du chômage de manière précise à l’intérieur de chaque pays, car s’appuyant uniquement sur des enquêtes. En effet, est ce que dans une période ou on a jamais autant culpabilisé les chômeurs on peut avoir la certitude que les sondés vont oser avouer être au chômage ? Il se trouve que jusqu’en 2010, on considérait le calcul du BIT plus fiable car pouvant tenir compte des chômeurs non inscrits. Par exemple en 2010, le nombre de chômeurs selon le BIT était légèrement supérieur au nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A. Quand on regarde les chiffres du 4eme trimestre 2022, la différence est stupéfiante : les enquêtes du BIT ne décomptent que 2 200 000 chômeurs alors que l’on a bien vu que le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A est de 3 049 700 soit près de 900 000 chômeurs de moins ! Lorsque l’on sait que le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A est loin d’être représentatif du nombre réel de chômeurs, le fait que les sondages du BIT se décorrèlent complètement d’un chiffre qu’on sait largement sous estimé pose un vrai problème de crédibilité à cette méthode pour décrire la réalité du chômage dans notre pays ! Ce décalage est incontestable et ne peut s’expliquer que par le fait que beaucoup de demandeurs d’emploi sont impactés par les campagnes de culpabilisation des chômeurs menées ces 10 dernières années et préfèrent souvent ne pas répondre aux enquêtes du BIT… Car le décompte des chômeurs par Pôle-Emploi offre un énorme avantage sur celui de l’INSEE : il ne s’appuie pas sur des enquêtes mais sur un recensement exhaustif des inscrits. Cet énorme décalage entre le sondage du BIT et le recensement du service public de l’emploi est donc une aubaine pour le gouvernement qui peut surfer sur un taux de chômage de 7,2% loin de la réalité du terrain. Si on se contentait de calculer le taux de chômage par rapport au nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A dont on sait qu’il minimise la réalité, on serait sur un taux de plus de 10 %, si on comptait sur les catégories A B C ce taux serait de près de 18 % pour une estimation de la population active estimée à 30,1 millions ! Ce débat sur le plein emploi ne devrait même pas se poser, on en est tellement loin !

Le cynisme en marche !

Dans un contexte ou, avec un taux de chômage réel de plus de 10 % dans la configuration minimale, jusqu’à 18 % si on compte les catégories B et C, sans compter tous les exemptés de recherche d’emploi et les « invisibles » plus inscrits nulle part, on peut dire que nous connaissons une grave pénurie de l’emploi et ceci même si on estime à 500 000 le nombre réel des offres non pourvues en 2023. Et pour ces 500 000 offres d’emploi non pourvues, il faudrait peut-être explorer la piste de l’amélioration des conditions de travail dans certains secteurs d’activité si on voulait régler ce problème à l’avenir et on avait vu plus tôt qu’en plus la grande majorité de ces offres ne concernaient pas des offres pérennes. Ces dernières années, des centaines de milliards d’euros d’argent public sont allées vers les entreprises, en attendant un ruissellement qui ne vient pas. Veillons déjà à ce que ce pognon de dingue puisse au moins aider les entreprises à améliorer les conditions de travail et les salaires pour leurs employés ! On voit donc bien que parler de plein emploi dans un tel contexte est d’un cynisme absolu ! Michel Audiard avait écrit une célèbre réplique lors du film culte « les tontons flingueurs ». Je revisiterai cette citation en disant : « Ce gouvernement ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnait ! »

Mais pour ce gouvernement ce chiffre est une aubaine pour faire de ce qui devrait être un objectif absolu dans notre pays, le plein emploi, un mirage. Ce mirage vise surtout à culpabiliser les chômeurs et à multiplier les opérations de communication sur le thème de l’emploi pour faire oublier que rien n’est réellement fait pour atteindre un véritable plein emploi. Pas de politique industrielle, perte de souveraineté sur le plan alimentaire énergétique, sur la santé. On se lamente hypocritement sur la perte d’intérêt des salariés pour les métiers de la santé tout en continuant de démanteler l’hôpital public, à asphyxier financièrement les organismes de santé publics, et en ne faisant rien pour améliorer l’attractivité des métiers de la santé, notamment en termes de salaire ou de conditions de travail.

Mais surtout ce mirage du plein emploi nourrit de noirs desseins : – Une nouvelle assurance chômage, mise en place depuis le 1er février 2023 pour plumer les demandeurs d’emploi en les rendant ainsi coupables de leur situation. – Le recul de l’âge légal de la retraite, totalement absurde dans une période de chômage élevé, plus facile à « vendre » dans une société de « plein emploi » et ainsi plumer les salariés en les faisant travailler 2 ans de plus.
La méthode du gouvernement est de faire le Père Noel pour les entreprises (160 milliards d’aides aux entreprises en 2022, premier poste budgétaire) en faisant semblant de croire que la réussite des entreprises ruissellera sur la population (elle ruisselle surtout sur les actionnaires) d’où ce mirage du plein emploi que l’exécutif tente de nous vendre actuellement.

Bref ce mensonge est juste au service d’un vieux paradigme libéral : privatiser les bénéfices au nom de la légende du ruissellement, mutualiser les pertes en culpabilisant les plus fragiles par le mirage du plein emploi.
Le plein emploi est possible, il nécessite juste une mobilisation forte de l’action publique au service de cet objectif primordial, plus d’actions concrètes et moins de communication, faisons en une réalité !

Daniel Large

Confronté, par mon métier dans le service public de l'emploi, aux conséquences de la crise économique et sociale, j'ai décidé de m'investir et militer pour défendre les victimes des politiques libérales.
Electeur de gauche depuis toujours, militant d'une union des gauches n'ayant pas renoncé à une véritable politique sociale. Des concessions oui, mais pas de compromissions.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.